« J'ai été désigné pour être le premier ministre de la Pologne. C'est le plus grand sacrifice qu'il m'ait été donné de faire dans ma vie. »
Ignace Paderewski, janvier 1919
Le patriote
Propulsé malgré lui à la tête de la Pologne restaurée
Face à une Pologne démembrée entre la Russie tsariste, l'Autriche-Hongrie impériale et la Prusse royale (bientôt Allemagne impériale), Ignace Paderewski aurait pu se contenter d'une résistance citoyenne – caritative, morale, artistique. Son aura planétaire et son engagement militant le poussent à aller plus loin: jusqu'à l'arène politique où il fait une entrée aussi glorieuse qu'éphémère début 1919, au moment du Traité de Versailles et de la constitution du premier gouvernement d'union nationale de la Pologne restaurée. Contraint à la démission quelques mois seulement après son entrée en fonction, il demeurera jusqu'à son dernier souffle le chantre d'une nation libre et fière, salué par les grands de ce monde et inhumé parmi eux.
1916-1917 Ambassadeur auprès du président Wilson
Patriote ardent, Paderewski appelle ses compatriotes exilés à une résistance active. Il est à l'origine d'un corps de volontaires qui part se battre dans les tranchées du nord de la France durant les derniers mois de guerre. Fort de sa notoriété glanée dans les tournées de conférences, il tente aussi sa chance directement auprès du président Wilson... et fait mouche. Fondé à Lausanne en août 1917, le Comité national polonais en fait son ambassadeur à Washington. Paderewski n'a aucune expérience du terrain politique, mais son charisme fait des miracles. C'est son mémorandum sur la question polonaise qui servira de base au président Wilson pour rédiger le treizième point de son célèbre plan de la paix: « Un Etat polonais indépendant devra être créé, qui comprendra les territoires habités par des populations indiscutablement polonaises, auxquelles on devra assurer un libre accès à la mer; leur indépendance politique et économique aussi bien que leur intégrité territoriale devront être garanties par un accord international. »
1918-1919Le retour de l'homme providentiel
En novembre 1918, alors que les canons se taisent enfin sur une Europe décimée, la situation en Pologne est des plus chaotiques. Les puissances de l'Entente en appellent au seul homme qui, à leurs yeux, semble capable de cimenter l'unité nationale polonaise: Paderewski. « Nous avons confiance en vous et pensons que votre présence évitera un bain de sang », lance, lyrique, le ministre des affaires étrangères britannique Arthur Balfour. Comment résister? Il est à Danzig, encore occupée, le jour de Noël, et à Varsovie le 5 janvier 1919. L'accueil de la population est triomphal mais la tâche vertigineuse. Appelé (du bout des lèvres) par le maréchal Pilsudski à former un gouvernement d'union nationale le 17 janvier, il s'exécute en 48 heures et obtient la reconnaissance des Quatre Grands (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et Italie) le 20 janvier déjà. Les premières élections parlementaires libres depuis 140 ans ont lieu six jours plus tard.
1919 Le triomphe éphémère de Versailles
Après la liesse du retour sur le sol national et le cortège des félicitations, Paderewski se heurte à la douloureuse réalité du terrain. Considéré (à tort) comme responsable de tous les maux de la jeune République polonaise – alors que ce qu'il a réussi à obtenir de la communauté internationale tient à lui seul du miracle! –, il démissionne en décembre déjà de toutes ses fonctions ministérielles. Rien ne saurait toutefois entacher le sentiment de triomphe qui baigne dans son esprit la journée du 28 juin 1919. Dans la Galerie des Glaces du Château de Versailles, après d'âpres négociations avec les représentants des Quatre Grands, il signe, aux côtés du président du Comité national polonais Roman Dmowski, un traité historique avec l'Allemagne, rétablissant la Pologne sur la carte européenne après 124 années d'absence. Ratifié le 24 juillet par la Diète polonaise, celui-ci est confirmé le 10 septembre suivant par le Traité de Saint-Germain-en-Laye avec l'Autriche.
1920-1940 Front de Morges et présidence du gouvernement polonais en exil
Rendu à la vie « civile » après une décennie presque exclusivement consacrée au sort de la Pologne, Paderewski ne quittera jamais de vue son pays retrouvé... et les 33 gouvernements qui se succéderont à sa tête jusqu'en 1939! En juillet 1920, à la demande expresse du premier ministre britannique Lloyd George, il est désigné délégué en chef de la Pologne auprès de la toute jeune Société des Nations, pour participer aux délibérations sur le conflit russo-polonais... mais doit jeter l'éponge rapidement face au cynisme du gouvernement qu'il représente. Il concentre alors son action sur la résistance extérieure. En février 1936, il réunit plusieurs chefs de l’opposition polonaise pour tenter de former un front uni face aux militaires qui dirigent le pays d'une main de fer depuis le coup d'Etat du maréchal Pilsudski dix ans plus tôt. Baptisé « Front de Morges », ce dernier ne représentera toutefois jamais une réelle menace pour le pouvoir en place. En 1939, la résistance continue. La Pologne occupée, Paderewski prend la présidence à Paris d'un gouvernement polonais en exil.