L'homme

Sous le soleil inspirant de ses muses

Séduisant, magnétique, mais aussi mélancolique et d'une sensibilité à fleur de peau: par-delà la musique, Ignace Paderewski exerce un pouvoir exceptionnel sur les gens. Les femmes se laissent volontiers conquérir. Mais elles peuvent aussi prendre les rênes. Elles sont sa sœur, sa femme, sa confidente, sa protectrice. Chacune à sa manière, à un moment de son existence, elles incarnent la Muse, rassurante et décisive.

Antonina Korsak (1861-1880)

Le premier amour, entre drame et fulgurance

1879. Coup de foudre à Varsovie. Professeur de Conservatoire fraîchement nommé, Paderewski succombe au charme d'une élève à peine plus jeune que lui et lui demande sa main. Antonina Korsak donne bientôt naissance à un fils, Alfred: « Le jour le plus heureux de toute ma vie ». Bonheur de courte durée. Antonina décède dix jours plus tard et une poliomyélite est diagnostiquée chez l'enfant. Placé chez son père puis confié plus tard à son témoin de mariage, Hélène Gorska – la femme de son ami Ladislas Gorski... qu'il finira, ô ironie du destin, par épouser! –, Alfred ne dépassera pas vingt-et-un ans. Dans l'immédiat, le jeune veuf part étudier la composition à Berlin auprès de Friedrich Kiel, comme le lui a fait jurer Antonina: elle juge la voie plus sûre qu'une carrière de pianiste...

Hélène Modrzejewska (1840-1909)

La bonne fée et le concert du destin

Cracovie, 4 octobre 1884. Pour la première fois de sa jeune carrière, Ignace Paderewski fait face à une salle comble. La recette de la soirée doit lui permettre de rallier Vienne et la classe du célèbre Théodore Leszetycki. Ce rendez-vous décisif avec son destin de virtuose, il le doit à la première d'une longue série de bonnes fées: l'actrice Hélène Modrzejewska. Rencontrée lors de vacances dans les montagnes du Tatras, l'égérie des théâtres polonais met son aura au service de son talent naissant: placez son nom en haut d'une affiche et les caisses sont pleines. Elle déclame des textes, il lui répond au piano: le charme opère, irrésistible. Vienne devient réalité, on le demande déjà à Varsovie. Le flair de la grande dame fait mouche.

Annette Essipoff-Leszetycka (1851-1914)

Egérie et ambassadrice

Annette Essipoff-Leszetycka est la deuxième épouse du professeur Leszetycki. Pianiste remarquable, elle mène une carrière florissante dont elle partage avec Paderewski les inestimables apprentissages. Oui, il y a de la passion entre les lignes de ses lettres, mais il y a d'abord l'envie de le voir briller et réussir. Dans ces années décisives (1886-1889) où le musicien hésite encore sur la voie à suivre, elle joue en coulisses un rôle aussi décisif que son mari, à la manière d'un imprésario; elle est celle qui réveille orgueil et énergie, et l'aide à vaincre une mélancolie maladive héritée d'une jeunesse en noir et blanc. Elle est sa « cosaque bien-aimée » qui, le 20 janvier 1889, crée à Vienne son Concerto pour piano... et le révèle définitivment à lui-même.

Rachel Bibesco Bassaraba, Princesse de Brancovan (1847-1923)

Le phare doré des grands salons

Suite à ses débuts le 3 mars 1888 salle Erard, Paris s'arrache Paderewski comme Chopin un demi-siècle plus tôt. Chez la princesse Rachel de Brancovan, dont les racines serpentent jusqu'aux portes de l'Orient, son entrée en scène fait sensation. « Perruqué de lumière, les yeux accordés avec les étoiles, un mage nous était présenté et nous l'aimâmes », écrit Anna de Noailles, fille de la grande aristocrate, alors âgée de douze ans. Rachel de Brancovan a étudié auprès de Camille Dubois, la dernière élève de Chopin. Généreuse et raffinée, elle sera de ses muses peut-être la plus fidèle. Elle l'invite régulièrement à Amphion, près d'Evian, où elle possède une somptueuse propriété. Elle le mettra plus tard sur la piste de Riond-Bosson, à quelques encablures de là...

Hélène Gorska, née Baronne de Rosen (1856-1934)

L'ange du foyer

Elle a été le témoin de l'éphémère premier mariage d'Ignace Paderewski, puis une mère de substitution pour son fils malade, avant de devenir sa femme en 1899 – malgré la vieille amitié qui lie le musicien à son premier époux, le violoniste Ladislas Gorski. Hélène Paderewska sera l'épouse fidèle et omniprésente jusqu'à sa mort en 1934, l'accompagnatrice infatigable de tous ses voyages – jusqu'à la Galerie des Glaces du Château de Versailles, où elle est l'une des rares dames à assister à la signature du Traité de 1919 –, sans oublier la maîtresse énergique et généreuse de Riond-Bosson. Rendez-lui visite en son domaine, au gré des panneaux consacrés aux années morgiennes de Paderewski!

Antonina Wilkonska Paderewska (1857-1941)

La sœur et dernière confidente

Elle baigne comme lui dans la musique depuis son plus jeune âge. Son mari puis son fils disparus, Antonina Wilkonska Paderewska se rapproche de son illustre frère. Au décès de sa belle-sœur Hélène, c'est elle qui prend la direction des travaux domestiques de Riond-Bosson. Elle accompagne Paderewski lors de son ultime voyage outre-Atlantique en 1940. Dans un reportage du New York Times qui la montre faisant un solitaire, elle donne l'image d'une présence rassurante aux côtés de l'octogénaire fatigué. Ignace décède le 29 juin 1941. Antonina le suit dans la tombe trois mois plus tard. Sans les honneurs officiels. Discrète et bienveillante jusqu'au bout.