La propriété de Riond-Bosson
Ignace Paderewski est reçu partout mais sait aussi recevoir: à Riond-Bosson près de Morges, sur la commune de Tolochenaz, il possède dès la fin du 19e siècle la plus étrange des maisons, autrefois demeure de la duchesse d'Otrante, veuve de Joseph Fouché, où il reprend son souffle entre les tournées de concerts et sur lequel règne la plus exquise et entreprenante des maîtresses de maison, Hélène Paderewska. Cette propriété entre chalet et palais vénitien a aujourd'hui disparu – son dynamitage par l'armée en 1965 alimentant son mystère. Dotée d'un vaste domaine où l'on exploite tant la flore que la faune, elle est indissociable du « mythe » Paderewski, où faste et rusticité voisinent avec le plus grand naturel.
Le palais de la Duchesse d'Otrante
Acquis en 1899, Riond-Bosson a été jadis la propriété de la duchesse d'Otrante, née Ernestine de Castellane, veuve de Joseph Fouché. Les Paderewski sont informés de sa disponibilité par leur amie la princesse de Brancovan, établie à Amphion de l'autre côté du lac. Leurs nombreuses connaissances installées dans la région – les René Morax, Gustave Doret, Ernest Schelling, Alfred Pochon et autres Anton Suter –, la beauté à couper le souffle du pays environnant entre lac et montagnes, le calme propice à l'achèvement de l'œuvre de sa vie (son opéra Manru), ainsi que le climat favorable à la santé fragile de leur fils Alfred, les décident à faire le pas.
Dans le souvenir d'Arthur Rubinstein
« Ce qui me frappa tout d’abord, ce furent les deux pianos à queue de concert, dont les claviers se faisaient face. Ils étaient alignés devant deux baies. Les deux instruments étaient couverts de fleurs et de photographies encadrées de rois et de reines, d’infantes espagnoles et d’aristocrates en vue. Je remarquai également un ou deux Américains fort connus; mais, à mon étonnement, pas un seul Polonais. » Extrait du premier tome « Les jours de ma jeunesse » de l'autobiographie en trois volumes du pianiste Arthur Rubinstein (Paris, Robert Laffont, 1973)
L'empire d'Hélène Paderewska
« Elle est là, sur la porte, encadrée par les hortensias moins pâles que sa robe d'été », se souvient René Morax dans le Journal de Lausanne du 23 janvier 1934. « Sous ses cheveux d'un noir de hyacinthe, son visage de Muse grecque semble impassible. Elle attend comme une souveraine l'hommage des hôtes de Riond-Bosson. À table, tandis que le Maître illumine la conversation de ses traits éblouissants, elle a veillé, avec le tact et l'autorité d'une maîtresse de maison incomparable, sur l'ordonnance du service. »
L'aventure avicole
L'impressionnant « établissement d'aviculture de Mme Paderewska » (comme on le nomme sur les cartes postales) totalise jusqu'à 2500 poulets de race, mais aussi de nombreux oiseaux rares (faisans dorés, perroquets, paons…), source de distinctions lors d'expositions avicoles.
« Je viens de revoir avec joie mes poules et mes treilles... »
Cette activité n'a rien d'un caprice de grande dame, comme en témoignent ces propos recueillis par Le Petit Parisien le 8 juin 1923 juste avant un nouveau départ pour les Etats-Unis: « Je viens de revoir avec joie mes poules et mes treilles, au bord du lac. Je les ai quittées avec peine. Mais je ne pouvais pas, n'est-ce pas? les préférer à mon grand... »
« La pelouse où broutent les moutons donnés par le roi d'Angleterre... »
« Elle regarde les montagnes bleues au-dessus des arbres du parc », écrit René Morax dans le Journal de Lausanne du 23 janvier 1934. « Elle-même l'a embelli, transformé, et sa pensée est là-bas vers les terrains qu'elle a aménagés en poulaillers modèles, en pépinières et en jardins. Derrière les pins qui bordent la pelouse où broutent les moutons donnés par le roi d'Angleterre, c'est son domaine, qui lui appartient en propre et dont elle aime à faire les honneurs. »