Portrait peint (d'auteur non identifié) du pianiste, compositeur et chef d'orchestre américain d'origine suisse Ernest Schelling
Portrait peint (d'auteur non identifié) du pianiste, compositeur et chef d'orchestre américain d'origine suisse Ernest Schelling
Portrait peint (d'auteur non identifié) du pianiste, compositeur et chef d'orchestre américain d'origine suisse Ernest Schelling
N° d'inventaire:
AMI-SCHELLING-ERNEST-PEINTURE-PROFIL
Type:
reproduction (tirage photo collé sur carton)
Auteur:
droits réservés
Source:
coll. Musée Paderewski, Morges | reproduction photographique: Peter A. Juley & Sons, New York

Enfant prodige, disciple des plus grands pédagogues de son temps, virtuose adulé, compositeur remarqué, chef d'orchestre pionnier dans l'ouverture de la grande musique au jeune public, partenaire recherché de musique de chambre, ami fidèle… Que reste-t-il aujourd'hui d'Ernest Schelling? Grâce à un fonds d'archives légué par sa veuve au Conservatoire de Lausanne au début des années 1950 et à des souvenirs personnels de Paderewski en possession du Musée de Morges, nous sommes en mesure d'esquisser aujourd'hui le portrait de cet exquis personnage. Après avoir été l'élève du Maître pendant quatre ans à Riond-Bosson – littéralement «sauvé» de la noyade artistique! –, ce pianiste américain d'origine suisse est devenu l'un de ses plus fidèles amis. On le retrouve à ses côtés des deux côtés de l'Atlantique: sur la côte Est où il a vu le jour en 1876 et où il réside la plupart du temps, et dans sa propriété de «Garengo» à Céligny, entre Lausanne et Genève, non loin de Riond-Bosson, où il passe l'été et reçoit ses amis, entre musique et convivialité.

Ernest Schelling voit le jour le 26 juillet 1876 à Belvidere dans le New Jersey. Sa mère, Rose White Wilkes, est une Anglaise de Cambridge; son père, Felix Emmanuel Schelling, un physicien et philosophe d'origine suisse. Il reçoit ses premières leçons de son père et donne son premier récital public à l'Académie de musique de Philadelphie à l'âge de… quatre ans! Face à un aussi grand talent, on considère qu'il n'est pas d'autre alternative que d'envoyer l'enfant au Conservatoire de Paris. À sept ans, il est le plus jeune élève jamais admis par l'institution. Son professeur, Georges Mathias, est un disciple de Chopin. Tout en donnant des concerts aux quatre coins de l'Europe – on s'arrache le «jeune prodige américain» en culottes courtes! –, il bénéficie des conseils d'autres grands pédagogues: Moritz Moszkowski (compositeur et professeur de Vlado Perlemuter) à Paris, Theodor Leszetycki (élève de Czerny et professeur de Paderewski et de Mieczyslaw Horszowski) à Vienne, et Karl Heinrich Barth (professeur d'Arthur Rubinstein et de Wilhelm Kempff) à Berlin.

Tout semble le prédestiner à une grande carrière: il joue pour les têtes couronnées, attire l'attention de Brahms et d'Anton Rubinstein… Seulement voilà: un grain de sable vient détraquer la machine. À force d'une sollicitation trop intense de ses doigts, Ernest Schelling développe une névrite, qui marque un coup d'arrêt brutal dans son ascension. Alors qu'il désespère de l'avenir, une rencontre décisive le sauve in extremis du gouffre: celle d'Ignace Paderewski, qui l'entend furtivement à Philadelphie et l'invite à venir le rejoindre à Morges, où il sera son unique élève de 1898 à 1902. Dans sa biographie (op. cit.), Werner Fuchss relate dans le détail cette rencontre et l'amitié qui se noue entre le maître et l'élève.

«Schelling n'avait pas de fortune, écrit Fuchss. Il travailla durement pendant deux ans pour se payer le voyage en Europe. Il s'était embarqué sur un cargo pour Gênes et arriva la veille des fêtes à Morges. Pendant trois ans, Schelling a étudié sous la surveillance de Paderewski, la plupart du temps à Morges et pendant les vacances dans un chalet à la montagne, huit heures par jour. Ce fut le début d'une affection qui a duré toute leur vie.» Une lettre envoyée le 21 septembre 1899 de Saanen témoigne de la sensibilité à fleur de peau du jeune pianiste: «J'ai réfléchi à ce que vous m'avez dit sur mon jeu, peut-être le fait d'avoir été entouré et gâté a apporté ce changement; évidemment l'isolement développe la concentration des idées et vous permet de mieux juger vous-même, mais cet isolement est-il bon pour quelqu'un d'aussi effrayamment disposé à la mélancolie que moi?» La correspondance de ces années, essentiellement due à Schelling, témoigne de la grande dépendance affective du musicien vis-à-vis de son mentor, chez qui il traque en permanence l'approbation. Ainsi lorsqu'il séjourne à Willigrad dans la propriété du grand-duc de Mecklenburg-Schwerin durant l'été 1902, se réjouit-il de l'atmosphère propice à la musique qui y règne – il fait beaucoup de duos et de quatre mains avec le duchesse et sœur de l'empereur d'Allemagne – mais craint en même temps que Paderewski soit déçu par le peu de concerts que contient alors son calendrier.

Les choses changent en 1903. Une tournée à travers les deux Amériques et un nouveau voyage en Europe redonnent confiance à ce jeune adulte sans doute révolté à l'idée de ne plus retrouver les sommets de son enfance prodigieuse. Comme son maître à la fin du 19e siècle, il planifie une tournée sous les auspices de la maison Steinway pour l'hiver 1904-1905. 1905 est aussi l'année de son mariage avec Lucie Howe Draper, dont il doit déplacer la date pour permettre à Paderewski d'être présent: le Polonais a en effet été choisi comme témoin. «J'aurais été peiné de devoir demander à qui que ce soit d'autre que vous d'être mon best man, lui écrit-il, car il n'y a pas un homme dans ce monde qui me soit aussi proche que vous, qui me comprenne comme vous et je crois aussi qui m'aime aussi sincèrement comme vous.» Après le décès de Lucie en 1938, Ernest Schelling se remariera en août 1939 avec Helen Huntington «Peggy» Marshall, de quarante-deux ans sa cadette. Belle-fille de la philanthrope Brooke Astor et nièce de Vincent Astor, arrière-arrière-petit-fils du premier multimillionnaire américain John Jacob Astor, Helen portera en terre son époux quatre mois seulement après leur union, emporté par une embolie cérébrale dans sa luxueuse demeure de Manhattan.

Même si les tournées du début des années 1900 marquent une forme de renaissance dans sa carrière internationale, Ernest Schelling, sentant sans doute qu'il ne sera jamais complètement à l'abri de récidives nerveuses, donne à sa vie d'artiste une nouvelle orientation. L'écho favorable de ses premières compositions l'incite à cultiver cette autre facette de son talent. Sa plume donnera naissance à de nombreuses pages pour orchestre, parmi lesquelles un Concerto pour violon (créé le octobre 1916 par Fritz Kreisler et l'Orchestre de Boston), la fantaisie A Victory Ball d'après la nouvelle pacifiste d'Alfred Noyes (créée le 23 février 1923 par Leopold Stokowski et l'Orchestre de Philadelphie) et les variations symphoniques Impressions from an Artist's Life, première œuvre d'un Américain jamais dirigée par Arturo Toscanini (à New York le 14 mars 1929).

Mobilisé en 1917, Schelling revient d'Europe avec le grade de major et bardé de distinctions américaine, française, espagnole et polonaise. Dans les années vingt, la direction d'orchestre lui ouvre de nouvelles perspectives. Le 27 mars 1924, il dirige la première prestation des Young People's Concerts du New York Philharmonic, destinés à encourager la diffusion des chefs-d'œuvre du classique au sein du jeune public; ces prestations commentées sont illustrées à l'aide d'une technique pionnière de projection sur grand écran. Le succès est tel qu'il est rapidement appelé à renouveler l'expérience dans d'autres villes des Etats-Unis (Philadelphie, Los Angeles…) et même en Europe (Londres, Rotterdam…). En signe de reconnaissance, un buste commémoratif trône aujourd'hui au Carnegie Hall de New York. De 1936 à 1938, Schelling tient également les rênes de l'Orchestre symphonique de Baltimore.

Suisse d'origine par son père, Ernest Schelling gardera toujours une place privilégiée dans son cœur à ce pays. Enfant prodige, il est au Grand hôtel & hôtel des Alpes de Territet le 4 mai 1889 pour un récital où il joue Beethoven, Chopin, Mendelssohn, Liszt et… Schelling! Le 5 octobre de l'année suivante, il est de passage à l'Institut de musique de Lausanne (futur Conservatoire) pour une soirée musicale durant laquelle il interprète une autre pièce de sa composition ainsi que le Carnaval de Schumann et une Tarentelle de son professeur parisien Moritz Moszkowski. Dans le sillage de ses études chez Paderewski, il donne des concerts à Lausanne et à Vevey dès 1905. On sait grâce à un procès-verbal de la Municipalité de Prangins qu'il réside dans la commune en 1909: «Il est donné connaissance d'une lettre de M. Schelling, locataire de la villa Prangins au territoire de Gland, se plaignant de ce que les chiens appartenant à M. le comte de Moncalieri s'introduisent dans sa propriété et abîment les cultures du jardin.» Précieuses archives de la vie quotidienne! Le musicien acquiert l'année suivante la villa «Garengo» à Céligny, où il passera tous ses étés, havre de paix sur les bords du Léman où il se repose de ses tournées et autres activités américaines, et où il reçoit des artistes du monde entier. Il sera l'un des ambassadeurs les plus actifs de la musique américaine en Europe et fera aussi connaître nombre de compositeurs européens – comme Enrique Granados – outre-Atlantique.

Ami depuis l'enfance de la famille de Coppet, Schelling est un habitué de leurs salons new-yorkais et du Flonzaley, sur les hauteurs du Léman. C'est sans doute grâce à ces mécènes éclairés qu'il entre en contact avec Alfred Pochon, dont il deviendra un partenaire privilégié et l'un des plus chers amis. S'il avait vécu au-delà de 1939, sûr que le violoniste l'aurait engagé comme professeur une fois dans son fauteuil de directeur du Conservatoire de Lausanne (où il s'installe en 1941); peut-être même lui aurait-il demandé de mettre sur pied des Young People's Concerts à la rue du Midi. Le concert-souvenir donné le 29 février 1940 à la grande salle du Conservatoire sous les auspices de Radio-Lausanne témoigne de l'aura dont jouissait Schelling en terre vaudoise: sous le haut patronage d'Ignace Paderewski, de l'ambassadeur des Etats-Unis à Berne et du directeur général du Service de la Radiodiffusion suisse, l'événement réunit les pianistes Juliette de Crousaz et Charles Lassueur, les violonistes Georges et Victor Desarzens, l'altiste Dora Benda, le violoncelliste Paul Burger et le ténor Hugues Cuenod, ainsi que le journaliste Henri Jaton pour évoquer son œuvre et Alfred Pochon pour témoigner de «l'homme» et de «l'ami». «De l'abondante production d'Ernest Schelling, écrit Jaton, nous présenterons ce soir à nos auditeurs quelques œuvres de musique de chambre où l'on retrouvera le témoignage d'un talent magnifique, comme aussi l'éloquence confidentielle d'un grand cœur.» Les musiciens d'aujourd'hui puissent-ils s'en rappeler!