Photographie de William Cart (1846-1919) par l'Atelier de Jongh
Photographie de William Cart (1846-1919) par l'Atelier de Jongh
Photographie de William Cart (1846-1919) par l'Atelier de Jongh
N° d'inventaire:
AMI-CART-WILLIAM-DE-JONGH
Type:
reproduction (tirage photo)
Auteur:
Atelier de Jongh, Lausanne – © Fonds de Jongh, Musée de l'Elysée, Lausanne
Source:
coll. Musée Paderewski, Morges | Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne

Fils d'un médecin morgien, William Cart (1846-1919) étudie en Allemagne puis se fixe à Lausanne où il est professeur à l'Académie, au Collège Gaillard et à l'Ecole Vinet. C'est un esprit supérieur, curieux de tout, qui abat les barrières qui fractionnent le savoir. Histoire, musique, archéologie: ses pôles d'intérêts dialoguent, s'enrichissent mutuellement. Sans qu'il enseigne lui-même la musique, son influence sur les musiciens de la place est grande, à l'instar de Gustave Doret qui lui doit sa rencontre décisive avec Joseph Joachim à Berlin. Il siège au Comité de l'Institut de Musique de 1881 à 1916 et préside pendant de nombreuses années la société de l'Orchestre de la Ville et de Beau-Rivage, dont il est l'un des artisans de la renaissance. Mais c'est par la plume qu'il marque le plus son époque. L'oreille et l'esprit tournés vers le Nord depuis ses années allemandes, il se sent naturellement porté à écrire sur celui qui a bouleversé son âme d'étudiant: Jean-Sébastien Bach. Il faut que ses compatriotes sachent! Il est le premier (l'unique selon Jacques Burdet) Vaudois à souscrire à la monumentale édition de la Bachgesellschaft, dont le Conservatoire héritera après sa mort en 1919. À cette époque, seuls deux ouvrages sont disponibles en langue française sur le cantor de Saint-Thomas: les traductions des deux biographies de référence outre-Rhin – celle de Nikolaus Forkel par Félix Grenier (1876) et celle de Philipp Spitta par Ernest David (1882). L' Etude sur Jean-Sébastien Bach que fait paraître Cart en 1883 dans la Bibliothèque universelle et Revue suisse puis en 1884 chez Fischbacher à Paris, constitue donc le premier ouvrage original en français sur le compositeur.

La prestigieuse Revue des Deux Mondes applaudit des deux mains. «Pour la partie biographique, M. Cart suit fidèlement M. Philipp Spitta, et il ne pouvait assurément faire mieux. Mais sa critique est plus large, sa vue porte plus loin. Il a senti que Bach s'adresse aussi bien au cœur qu'à l'intelligence; que, dans son œuvre, l'inspiration n'a pas une part moindre que le travail; sous le contrepointiste, il cherche le poète. Cette tendance nouvelle donne à son livre un intérêt particulier pour le public français en vue duquel il semble avoir été spécialement écrit, et si la thèse que j'indique n'y est pas plus développée, c'est sans doute qu'en songeant à la frivolité proverbiale de nos compatriotes, l'auteur, qui est Suisse, se sera cru tenu à quelques ménagements.»

Dans sa Musique dans le canton de Vaud au 19e siècle (Payot, Lausanne, 1971), Jacques Burdet consacre de nombreuses pages à l'œuvre musicographique de Cart, qu'il considère à juste titre comme essentielle (pp. 479-485). De Bach, il retient notamment les pages «d'une rare perspicacité» sur la fugue et ce face-à-face étonnant avec Beethoven: «Dans bien des œuvres de Beethoven, qui a en commun avec Bach le profond sérieux, l'horreur de la frivolité et de la phrase vide, mais chez qui l'élément intellectuel joue un grand rôle, on sent qu'il y a une action, qu'il se passe quelque chose, et l'on éprouve le besoin de préciser ce quelque chose par des paroles. Rien de pareil chez Bach. Sa musique est de la musique toute pure, qui commence là où s'arrête la parole impuissante; elle fait franchir à l'âme le seuil du pays des rêves infinis, où l'imagination vogue au gré d'une onde faible et fugitive comme l'est un son, où la joie devient du bonheur, où la tristesse même perd son amertume.»

Le jeune Paderewski se réjouit de la renaissance du cantor de Saint-Thomas portée par William Cart, et il le dit dans une lettre qu'il lui adresse d'Utrecht le 21 mars 1890: «[En Allemagne], il y a encore de la place pour tout, tandis qu'en France le Tamerlan, l'Attila de la musique – Wagner a tout envahi. On ne fait et on ne lit que des brochures sur l'auteur de Lohengrin. Quand je pense quel mal énorme cet homme a fait à la ‹musique pure›; quand je vois quelle quantité de têtes il a tournées, quel dilettantisme impertinent, insolent il a créé et encourage encore – quand je vois tous ses torts, je lui en veux de toutes mes raisons. Vive Bach – cher Monsieur Cart – vive Jean-Sébastien et sa science surhumaine et son inconscience divine!»