Programme du 120e concert d'abonnement du Gewandhaus de Leipzig donné le 6 mars 1913 sous la direction d'Arthur Nikisch, avec à l'affiche notamment le Concerto n° 2 de Chopin (avec Paderewski en soliste) et la Symphonie en si mineur
Programme du 120e concert d'abonnement du Gewandhaus de Leipzig donné le 6 mars 1913 sous la direction d'Arthur Nikisch, avec à l'affiche notamment le Concerto n° 2 de Chopin (avec Paderewski en soliste) et la Symphonie en si mineur
Programme du 120e concert d'abonnement du Gewandhaus de Leipzig donné le 6 mars 1913 sous la direction d'Arthur Nikisch, avec à l'affiche notamment le Concerto n° 2 de Chopin (avec Paderewski en soliste) et la Symphonie en si mineur
N° d'inventaire:
EU-D-1913-03-06
Type:
original
Date:
6 mars 1913
Source:
coll. Musée Paderewski, Morges – reproduction photographique: Claude Bornand, Lausanne

Composée entre 1903 et 1908, la Symphonie en si mineur op. 24 dite «Polonia» est le chef-d'œuvre ultime de Paderewski, si l'on excepte un hymne pour chœur d'hommes écrit en 1917. Elle est créée à Boston le 12 février 1909 sous la direction du chef allemand Max Fiedler et interprétée peu de temps après à Londres sous la baguette de Hans Richter, puis à Paris dans une lecture d'André Messager à la tête de l'orchestre de la Société des concerts sur Conservatoire. La Pologne devra patienter jusqu'en 1910 pour l'entendre: elle résonne pour la première fois à Lwów lors d'un congrès des Musiciens polonais (dont Paderewski est président d'honneur) réuni à l'automne à l'occasion du centenaire de Chopin, puis à la Philharmonie de Varsovie l'année suivante. Henryk Opienski, qui est aux commandes de l'orchestre, s'en souvient dans la biographie du compositeur qu'il fait paraître en 1928 aux Editions Spes à Lausanne: «En raison de la censure russe, le programme analytique devait être d'une discrétion exemplaire dans les détails explicatifs sur la signification des thèmes. Mais on sait que ‹les mêmes causes produisent d'ordinaire les mêmes effets›: comme pour le discours de 1898, le résultat de cette contrainte fut à l'opposé du but poursuivi; l'œuvre n'avait pas besoin de commentaires pour parler au cœur du public. Et elle parla d'autant plus fort.»

Cette Symphonie est le «véritable couronnement de ce que l'on peut appeler la ‹deuxième étape› de l'activité créatrice de Paderewski. En donnant à son œuvre une signification symbolique, l'auteur en a fait un vrai ‹Poème épique de l'Ame polonaise›, avec ses souffrances et ses espoirs. Bien qu'aucun programme littéraire explicatif ne soit joint à la partition, tout auditeur attentif et sensible, et surtout un auditeur polonais, peut en percevoir l'intention profonde. La forme symphonique traditionnelle, traitée ici avec une éclatante maîtrise, n'est qu'un moyen pour l'auteur d'exprimer sa pensée poétique: la richesse de l'orchestre, déjà si grande dans Manru, s'est accrue encore ici, par l'adjonction d'instruments nouveaux permettant de varier les timbres. L'œuvre est en trois parties, dont chacune constitue à elle seule un tableau symphonique; mais le lien étroit de ces parties est assuré par l'emploi de thèmes caractéristiques permanents, qui ‹conduisent› la pensée de l'auditeur et donnent à cette symphonie toute la valeur et tout l'intérêt d'une forme cyclique. Une Introduction lente évoque en nous l'image d'une plaine immense et morne, mélancolique paysage dont l'horizon se perd au loin. Les rythmes hardis et décidés de l' Allegro viennent animer cette désolation, comme pour nous dire la force vitale du peuple héroïque qui s'agite dans ce triste cadre […]. Un Chant élégiaque fait d'une exquise ligne mélodique, le rêve du bonheur qui fut, l'espoir du bonheur qui reviendra, fait l'élément principal du deuxième mouvement […]. Dans la dernière partie de la Symphonie, l'auteur abandonne délibérément les sentiers battus du classicisme, pour composer un véritable poème symphonique, relié par sa trame thématique au reste de l'œuvre: c'est l'évocation de la lutte pour la liberté, de la foi inébranlable en un avenir meilleur, en dépit des échecs successifs. […] Une coda largement développée réexpose tous les thèmes de l'œuvre en une série de superpositions contrapuntiques des plus ingénieuses, que clôt une fanfare victorieuse, symbole poignant du rêve du poète, de ce rêve qui allait se changer par la suite des événements en une vision prophétique: celle de la résurrection de la Pologne.»