Lettre adressée par Antoinette Giron à Paderewski, de Lausanne le 21 septembre 1940
Lettre adressée par Antoinette Giron à Paderewski, de Lausanne le 21 septembre 1940
Lettre adressée par Antoinette Giron à Paderewski, de Lausanne le 21 septembre 1940
Lettre adressée par Antoinette Giron à Paderewski, de Lausanne le 21 septembre 1940
Lettre adressée par Antoinette Giron à Paderewski, de Lausanne le 21 septembre 1940
N° d'inventaire:
GIRON-ANTOINETTE-1940-09-21
Type:
original
Date:
21 septembre 1940
Source:
coll. Musée Paderewski, Morges

«Monsieur le Président et cher vénéré Maître, la nouvelle de votre départ de la Suisse émeut profondément vos amis, nous sommes du nombre et en ressentons un profond chagrin. Vous quittez notre sol où tant de souvenirs douloureux et tragiques vous attachaient – mais aussi où vous avez connu des heures de joie.

»Nous étions fiers de notre combourgeois, sa présence dans notre petit pays était un lustre, mais aussi et plus: le rayonnement de la bonté, de toutes les qualités du cœur et de l'esprit.

»Votre noble pays vous demande un grand sacrifice et votre cœur y répond avec quel élan. Oui, Monsieur le Président, vous serez le plus digne et le plus noble représentant de la vaillante Pologne. Vous êtes toute son âme et Dieu vous donnera la force de surmonter tous les obstacles. Vous plaiderez la sainte cause de votre Grand Pays, vous serez victorieux, car non seulement vous êtes le Premier, mais encore citoyen de l'humanité. Vous serez écouté et vous enlèverez les cœurs à des hauteurs jamais atteintes.

»C'est donc en présence de ces certitudes que je tiens à venir prendre congé de vous, cher et vénéré Maître, comme aussi de Madame Wilkonska à qui j'adresse mes très respectueux hommages, ma profonde gratitude pour l'affection qu'elle témoignait à ma famille.

»Je ne saurais oublier les bontés que vous avez eues envers ma fille et le précieux appui qu'elle a rencontré auprès de votre grande autorité. C'est avec confiance mais avec déchirement que nous vous voyons partir, mais aussi avec l'espoir de vous revoir un jour dans l'allégresse de la restitution de votre noble Patrie.

»Je vous prie encore une fois, Monsieur le Président et vénéré Maître, d'agréer mes très respectueux hommages accompagnés de ma très sincère admiration.»

*****

Après quarante et une années de résidence en Suisse et à près de quatre-vingts ans, Paderewski décide de poursuivre aux Etats-Unis le combat pour sa Pologne à nouveau envahie – combat devenu difficile à mener en pays neutre. Il quitte Riond-Bosson le 23 septembre – après y avoir enregistré ses fameux adieux à la Suisse radiodiffusés le 29 – et joint New York début novembre via le Portugal, après une traversée périlleuse de la France occupée et de l'Espagne franquiste. Il ne reverra plus le Vieux Continent et s'éteindra à New York le 29 juin 1941.

Antoinette Giron, née Jeanne Antoinette Forget, est la fille d'un négociant et propriétaire du château Banquet à Sécheron, l'épouse du peintre et critique d'art suisse Charles Giron et la mère de Simone Giron, épouse Louis de Pourtalès et auteur en 1948 aux Editions de l'Epée du Drame Paderewski.

Disciple de François Diday et Barthélemy Menn à Genève et d'Alexandre Cabanel à l'Ecole des beaux-arts de Paris, Charles Giron (1850-1914) est considéré comme «le plus parisien des peintres genevois» et est très recherché par la haute société internationale pour ses paysages et surtout ses portraits élégants. Comme critique d'art, il prend la défense de Ferdinand Hodler. Après avoir été actif à Paris et à Cannes, il s'en est retourné à Genève en 1896. On lui doit notamment la peinture murale qui décore la salle du Conseil national à Berne, ainsi que des portraits de ses amis Ignace et Hélène Paderewski (réalisés en 1907, respectivement 1909). La Ville de Genève a donné son nom à une rue et à une école.

Avec son ouvrage Le drame Paderewski, Simone Giron-de Pourtalès (1894-1987) est au cœur de la vaste saga médiatico-judiciaire qui entoure la succession de l'artiste, sur laquelle il n'y a pas lieu de s'étendre ici.