Copie dactylographiée de la lettre adressée par le maréchal Pétain, «Chef de l'Etat», à «Monsieur Paderewski, Riond-Bosson», de Vichy le 30 juillet 1940
Copie dactylographiée de la lettre adressée par le maréchal Pétain, «Chef de l'Etat», à «Monsieur Paderewski, Riond-Bosson», de Vichy le 30 juillet 1940
Copie dactylographiée de la lettre adressée par le maréchal Pétain, «Chef de l'Etat», à «Monsieur Paderewski, Riond-Bosson», de Vichy le 30 juillet 1940
N° d'inventaire:
PETAIN-1940-07-30
Type:
original
Date:
30 juillet 1940
Source:
coll. Musée Paderewski, Morges

1920. Rendu à la vie «civile» après une décennie presque exclusivement consacrée au sort de la Pologne, Paderewski ne quittera jamais de vue son pays retrouvé… et les 33 gouvernements qui se succéderont à sa tête jusqu'en 1939! En juillet 1920, à la demande expresse du premier ministre britannique Lloyd George, il est désigné délégué en chef de la Pologne auprès de la toute jeune Société des Nations, pour participer aux délibérations sur le conflit russo-polonais… mais doit jeter l'éponge rapidement face au cynisme du gouvernement qu'il représente. Il concentre alors son action sur la résistance extérieure. En février 1936, il réunit plusieurs chefs de l’opposition polonaise pour tenter de former un front uni face aux militaires qui dirigent le pays d'une main de fer depuis le coup d'Etat du maréchal Pi?sudski dix ans plus tôt. Baptisé «Front de Morges», ce dernier ne représentera toutefois jamais une réelle menace pour le pouvoir en place. En 1939, la résistance continue. La Pologne occupée, Paderewski prend la présidence à Paris d'un gouvernement polonais en exil.

«Au printemps 1940 la guerre reprend son cours et la situation en Europe empire», écrit le diplomate Werner Fuchss dans sa biographie de Paderewski (Editions Cabédita, Yens-sur-Morges, 1999). «Au moment de la déroute de l'armée française, la 2e division polonaise, qui avait combattu en France sous le commandement du général Prugar-Ketling, se replie sur la Suisse où elle dépose les armes. Les officiers et soldats polonais sont internés. Paderewski prend contact avec eux et s'occupe de leur sort. […] La situation précaire de la Suisse en été et en automne 1940 n'échappe nullement à Paderewski et l'influence certainement dans sa résolution de quitter l'Europe. En juillet 1940 Paderewski se met en rapport avec le maréchal Pétain et le général Weygand à Vichy. Il les avait rencontrés avant la guerre et ressentait pour eux une grande estime. Ne pouvant pas se rendre lui-même en France, il y envoie M. Strakacz, afin de s'occuper, avec l'aide des autorités françaises, des Polonais, civils et militaires, restés en France. […] M. Strakacz fait part à Pétain de l'intention de Paderewski de se rendre aux Etats-Unis. Pétain est pessimiste quant à la défaite ultime des Allemands; par contre, il approuve le projet de départ pour l'Amérique: Paderewski pourrait y être très utile à la cause des Alliés. ‹Ils ont besoin de lui aux Etats-Unis. Je faciliterai son passage à travers la France. Dites à votre Président qu'il devrait partir. La Providence le veut ainsi. Dieu le protégera.›»

*****

«Mon cher Ami, c'est avec une très grande émotion que j'ai reçu des mains de M. Sylwin Strakacz la lettre que vous avez bien voulu prendre la peine de m'envoyer.

»M. Strakacz m'a donné de vive voix de vos nouvelles et j'ai été très heureux de le recevoir puisqu'il m'apportait un message de vous. Ce message, je l'ai lu, relu et médité, car il est empreint de sentiments que seul un homme comme vous pouvait exprimer avec autant de cœur.

»À notre tour, nous devons traverser des heures terribles. Notre patrie envahie souffre dans son cœur, dans son esprit et, plus encore, dans son corps.

»La France est éternelle. Elle se redressera et c'est en pensant à cela quotidiennement que j'accepte le sacrifice des lourdes tâches qui m'ont été imposées.

»La confiance que vous avez en moi, la confiance que le peuple de France me témoigne soit par ses lettres, soit par des messages plus directs, m'est un précieux témoignage qui apporte chaque jour à mon énergie l'aliment nécessaire pour accomplir ma tâche.

»Je ne puis prévoir ce qu'un avenir proche nous réserve, mais ce dont je suis sûr et ce que je puis vous affirmer, c'est que la France, malgré les durs sacrifices qui lui sont imposés, possède en elle l'énergie suffisante pour revivre. L'exemple de la Pologne, elle aussi tant de fois meurtrie, ne me suffit-il pas pour me permettre d'avoir cette foi ardente?

»Veuillez agréer, je vous prie, mon cher Ami, avec tous mes remerciements pour votre fidélité à moi-même et à notre patrie, l'assurance de ma profonde affection.»