Photographie de Paderewski, alors premier ministre et ministre des affaires étrangères de la Deuxième République de Pologne, en voiture dans les rues de Varsovie en 1919 en compagnie du général Jósef Pilsudski (1867-1935), chef de l'Etat
Photographie de Paderewski, alors premier ministre et ministre des affaires étrangères de la Deuxième République de Pologne, en voiture dans les rues de Varsovie en 1919 en compagnie du général Jósef Pilsudski (1867-1935), chef de l'Etat
Photographie de Paderewski, alors premier ministre et ministre des affaires étrangères de la Deuxième République de Pologne, en voiture dans les rues de Varsovie en 1919 en compagnie du général Jósef Pilsudski (1867-1935), chef de l'Etat
N° d'inventaire:
EU-PL-1919-VARSOVIE-PAD-PILSUDSKI-VOITURE
Type:
reproduction (tirage photo)
Auteur:
droits réservés
Date:
1919
Source:
coll. Musée Paderewski, Morges

En novembre 1918, alors que les canons se taisent enfin sur une Europe décimée, la situation en Pologne est des plus chaotiques. Les puissances de l'Entente en appellent au seul homme qui, à leurs yeux, semble capable de cimenter l'unité nationale polonaise: Paderewski. «Nous avons confiance en vous et pensons que votre présence évitera un bain de sang», lance, lyrique, le ministre des affaires étrangères britannique Arthur Balfour. Comment résister? Il est à Danzig, encore occupée, le jour de Noël, et à Varsovie le 5 janvier 1919. L'accueil de la population est triomphal mais la tâche vertigineuse. Appelé (du bout des lèvres) par le maréchal Pilsudski à former un gouvernement d'union nationale le 17 janvier, il s'exécute en 48 heures et obtient la reconnaissance des Quatre Grands (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et Italie) le 20 janvier déjà. Les premières élections parlementaires libres depuis 140 ans ont lieu six jours plus tard.

Après la liesse du retour sur le sol national et le cortège des félicitations, Paderewski se heurte à la douloureuse réalité du terrain. Considéré (à tort) comme responsable de tous les maux de la jeune République polonaise – alors que ce qu'il a réussi à obtenir de la communauté internationale tient à lui seul du miracle! –, il démissionne en décembre déjà de toutes ses fonctions ministérielles.
[idem panneau F]

Józef Pilsudski (1867-1935) voit le jour à Zulów, village situé dans l'actuelle Lituanie. Issu d'une famille de la petite aristocratie polonaise où le sentiment patriotique est très fort, il se fait remarquer dès ses études de médecine (à l'université de Kharkov puis de Dorpat, dans l'actuelle Estonie) pour participation à des actions révolutionnaires. Après avoir trempé (au côté de son frère Bronis?aw) dans un complot socialiste visant à assassiner le tsar Alexandre III, il est condamné en 1887 à l'exil en Sibérie. À son retour en Pologne en 1893, il rejoint le Parti socialiste polonais (PPS), au sein duquel il s'illustre d'abord comme rédacteur du journal clandestin, puis comme formateur d'unités paramilitaires. Avec l'assentiment des autorités austro-hongroises, il fonde plusieurs «clubs sportifs», servant de couverture à l'entraînement des forces militaires polonaises. Pour lui – au contraire de son rival Roman Dmowski, qui estime que c'est du côté des puissances de l'Entente que doit se ranger la Pologne en vue du recouvrement de son indépendance –, ces forces doivent se tenir prêtes le moment venu à entrer en action contre l'Empire russe aux côtés des puissances centrales. C'est dans cette optique qu'il fonde en 1914 l'Organisation militaire polonaise (ancêtre de l'Agence de renseignements extérieurs de la Pologne), qui mène des actions de sabotage et d'espionnage, mais s'illustre également sur le champ de bataille face aux troupes russes. À la suite de l'effondrement de la Russie tsariste et de la défaite de plus en plus inéluctable des Empires centraux, Pilsudski, opportuniste, change de stratégie en juillet 1917 et intime à ses troupes de refuser de prêter serment aux généraux austro-allemands. Arrêté par les Allemands et emprisonné à Magdebourg, il gagne en ces derniers mois de guerre une stature de «héros national», qui lui permet dès l'Armistice de novembre 1918 de s'imposer comme l'homme fort du pays libéré; si les Allemands ont accepté de le relâcher, c'est en faisant le même calcul qu'avec Lénine quelques mois plus tôt: celui de voir se créer en Pologne une force qui leur serait favorable.

Le 11 novembre 1918, Pilsudski est nommé commandant en chef des troupes polonaises et chargé par le conseil de Régence de former un gouvernement pour le nouvel état. Il proclame le jour même (aujourd'hui fête nationale) l'indépendance de la Pologne et organise en un temps record (et sans effusion de sang) l'évacuation des troupes allemandes. Le 22 novembre, il reçoit officiellement, de la part du nouveau premier ministre de la Deuxième République de Pologne, Jedrzej Moraczewski, le titre de chef de l'Etat provisoire. Si dans sa nouvelle fonction, il renonce à toute allégeance partisane (en particulier vis-à-vis de ses anciens camarades socialistes) et prône la formation d'un gouvernement de coalition, il continue à susciter la méfiance dans le camp des vainqueurs, qui ne peuvent oublier son engagement pendant trois ans aux côtés des puissances centrales. C'est pourquoi ces derniers imposent comme condition à la reconnaissance du nouvel Etat la nomination d'Ignace Paderewski comme premier ministre et ministre des Affaires étrangères: aux yeux des Quatre Grands (et en particulier du Britannique Lord Balfour), l'illustre musicien apparaît comme la seule personnalité capable de fédérer les différentes tendances en présence. Il est d'abord leur interlocuteur privilégié depuis la fondation en 1917 à Paris, avec Dmowski, du Comité national polonais. Il est ensuite «apolitique», contrairement à Moraczewski – dont les couleurs socialistes ont tendance à crisper les gouvernements occidentaux, en cette période de révolution latente. Pilsudski se résout donc – du bout des lèvres – à faire appel à lui, le 17 janvier 1919, pour former un gouvernement d'union nationale. Paderewski réussit le tour de force d'obtenir la reconnaissance des Quatre Grands (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et Italie) le 20 janvier déjà. Les premières élections parlementaires libres depuis 140 ans ont lieu six jours plus tard. Le risque d'une guerre civile s'éloigne.

Le défi de la reconstruction n'en est pas moins énorme: le pays sort dévasté de la guerre, et doit se réinventer sur tous les plans – économique, administratif, juridique – à partir des héritages croisés de la Russie, de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie. Paderewski jette l'éponge en décembre 1919 déjà, après avoir brillamment représenté son pays lors de la Conférence de paix de Paris en compagnie de Dmowski. Pilsudski, de son côté, concentre son action extérieure sur son grand projet de «Fédération Miedzymorze» (Entre-Mers), devant réunir, de la Baltique à la Mer Noire, la Pologne et les Etats nouvellement indépendants d'Ukraine, de Biélorussie et des Pays baltes – un plan fermement combattu par Dmowski, partisan d'une Pologne ethniquement homogène alliée à la Russie, qui conduit le pays à une confrontation inéluctable avec la plupart des Etats frontaliers, à commencer par la Russie bolchevique. Nommé maréchal en mars 1920, Pilsudski ressort de la guerre soviéto-polonaise de 1919-1921 avec une nouvelle auréole de héros – celle du sauveur de Varsovie, architecte du «miracle de la Vistule»… même si l'on est passé à deux doigts de la catastrophe. Au sein de la mission interalliée dépêchée eu Pologne sous le commandement du général Weygand pour soutenir le pays contre l'Armée rouge, l'observe avec attention un jeune officier du nom de Charles de Gaulle: il avouera plus tard avoir tiré de nombreuses leçons des événements, en particulier de sa conduite de l'armée de réserve.

En février 1921, Pilsudski est à Paris pour poser les base d'une alliance franco-polonaise, qui entrera en vigueur dans l'année. Le mois suivant est signée la paix de Riga, qui met un terme à la guerre soviéto-polonaise. Avec elle s'effondre définitivement le projet de Fédération de Pilsudski. De peur de le voir repartir en guerre à nouveau, la Constitution polonaise adoptée le 17 mars 1921 limite sensiblement les pouvoirs du président; s'engage un bras de fer qui, ponctué de plusieurs tentatives d'assassinat, conduit le maréchal à annoncer son retrait de la vie politique le 3 juillet 1923. L'éclipse est toutefois de courte durée. À la faveur de l'instabilité politique latente, accentuée par une situation économique désastreuse, il conduit un coup d'Etat victorieux en mai 1925, qui le propulse à nouveau au sommet du pouvoir. Connaissant mieux que personne les limites des prérogatives présidentielles, il fait élire à ce poste son ami Ignace Moscicki et concentre son emprise (à l'exception de deux «parenthèses» primo-ministérielles) sur la sphère militaire – là où se situe le «vrai» pouvoir. Durant ses presque dix années d'emprise sur le pays – d'aucuns n'hésitent pas à parler de dictature –, il tente à l'intérieur de museler l'opposition (avec des manières toutes militaires qui lui vaudront les réprimandes de la communauté internationale) tout en maintenant à l'extérieur le fragile équilibre obtenu à l'issue des conflits de l'immédiat après-guerre. À l'image des pactes de non-agression signés avec l'Union soviétique en 1932 et avec l'Allemagne en 1934, Pilsudski a toutefois conscience que ce n'est là qu'un équilibre précaire et que la Pologne est «assise entre deux chaises» et qu'il s'agit impérativement de «savoir laquelle de ces chaises tombera en premier et quand cela aura lieu».

Il ne vivra pas assez longtemps pour connaître la réponse. Décédé le 12 mai 1935 d'un cancer du foie, il laisse derrière lui des partisans enflammés – à commencer par ses anciens compagnons des légions polonaises qui organisent ses funérailles nationales –, des opposants tout aussi motivés (les communistes saluent la disparition d'un «fasciste» et d'un «capitaliste»), mais pas de véritable héritier. Malgré son opposition ouverte à sa politique autocratique, Paderewski envoie des condoléances à sa famille. La plupart des représentants des minorités nationales et religieuses saluent la relative tolérance du maréchal à leur égard – sans doute l'une des facettes les plus lumineuses de sa politique. Après plusieurs décennies d'oubli sous l'ère communiste, le culte de sa mémoire reprend au début des années 1990, et avec lui sa stature de héros national, d'homme providentiel – à qui l'on pardonne bien volontiers des décisions jadis controversées comme les procès de Brest ou la création de la prison de Biaroza.